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Capturer chaque jour la même chose, la même vue d’un même lieu ou d’un même objet, à la même heure, pour célébrer le passage du temps – expérience rendu célèbre par Paul Auster dans Smoke et Brooklyn Boogie – est une pratique photographique récurrente et assez conventionnelle maintenant avec les réseaux sociaux. Cela permet de préciser par l’image et la répétition que l’on se retrouve à un endroit afin de le rendre familier. De montrer et d’estimer que ce que l’on voit est possiblement intéressant pour un.e autre et que l’on s’astreint volontairement à en faire une prise de vue pour la publier spécifiquement toujours depuis ce même endroit et au même moment de la journée. L’abonnement à un compte permet de recevoir l’image automatiquement dans le flux des autres. La visite du profil ouvre alors une grille infinie d’une même photo mainte fois répétée mais toujours différente.
Daniel Arasse disait que dans « contempler », il y avait le mot « temple ». De « templum » chez les Romains. Ce carré ou ce rectangle qu’ils dessinaient dans le ciel avec des bâtons « pour y voir comment y passeraient les aigles ». Lorsque je suis à Groix, la fenêtre au-dessus de mon lit me permet de voir le temps qui passe et surtout le temps passer. C’est mon carré romain, c’est la contemplation que j’expose dès que je prends mon téléphone pour immortaliser les nuages, les oiseaux ou les avions qui défilent devant mes yeux à peine ouverts, à travers la fenêtre. Celle qui dit où je suis et ce que je vois. Mais aussi celle de mon iPhone ou celle de la personne qui regarde la photo depuis son mobile ou sur son ordinateur. Une mise en abîme phénoménologique éphémère et fragile. Comme des vues de mers acccrochées au plafond ou comme des cadres de tableaux de ciels dans la main. Que j’active ou réactive lors de ma présence sur l’île.